Skip to content

Charles Baudelaire, Chacun sa chimère

20.11.2018

Aus: Le Spleen de Paris (Petits Poèmes en Prose)

Sous un grand ciel gris, dans une grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.

Chacun d’eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu’un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d’un fantassin romain.

Mais la monstrueuse bête n’était pas un poids inerte ; au contraire, elle enveloppait et opprimait l’homme de ses muscles élastiques et puissants ; elle s’agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture ; et sa tête fabuleuse surmontait le front de l’homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l’ennemi.

Je questionnai l’un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu’il n’en savait rien, ni lui, ni les autres ; mais qu’évidemment ils allaient quelque part, puisqu’ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.

Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n’avait l’air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos ; on eût dit qu’il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d’aucun désespoir ; sous la coupole spleenétique du ciel, les pieds plongés dans la poussière d’un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.

Et le cortége passa à côté de moi et s’enfonça dans l’atmosphère de l’horizon, à l’endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.

Et pendant quelques instants je m’obstinai à vouloir comprendre ce mystère ; mais bientôt l’irrésistible Indifférence s’abattit sur moi, et j’en fus plus lourdement accablé qu’ils ne l’étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.

 

Jedem seine Chimäre

Unter einem großen grauen Himmel, in einer großen staubigen Ebene, ohne Pfade, ohne Rasen, ohne eine Distel, ohne eine Nessel, begegneten mir mehrere Menschen, die gebückt einherschritten.

Jeder trug auf seinem Rücken eine ungeheure Chimäre, schwer wie ein Sack mit Mehl oder Kohlen oder das Gepäck eines römischen Infanteristen.

Doch das monströse Tier war keine träge Last; im Gegenteil, es umwickelte und presste den Menschen mit seinen biegsamen und kraftvollen Muskeln; es klammerte sich mit seinen zwei riesigen Krallen um die Brust seines Trägers; und sein Fabeltier-Kopf schob sich vor die Stirn des Menschen wie einer der furchterregenden Helme, womit die alten Krieger dem Schrecken des Feindes noch eins draufzusetzen hofften.

Ich nahm mir eine der Herrschaften zur Brust und frug ihn, wohin sie denn auf diese Weise marschierten. Er antwortete mir, er habe keine Ahnung, weder er noch die anderen; klar sei nur, daß sie irgendwohin unterwegs seien, weil ein unbezwinglicher Drang sie vorwärtstreibe.

Es war schon verblüffend zu gewahren, daß keiner der Reisenden auch nur den Schatten einer Verstörung auf dem Gesicht trug, und hing ihnen doch das wilde Biest im Nacken, klebte ihnen am Rücken; als erachteten sie es als natürlichen Teil ihrer selbst. All diese müden und ernsten Gesichter zeigten keine Spur von Verzweiflung; unter der Schwermut-Kuppel des Himmels gingen sie, die Füße in den Staub einer Erde getaucht, die ebenso trostlos war wie der Himmel, ihres Weges, und ihre Mienen spiegelten die Ergebenheit derer, die verdammt sind, ohne Unterlaß zu hoffen.

Das Gefolge glitt an mir vorbei und tauchte in den Dunst des Horizonts, dorthin, wo sich die gewölbte Oberfläche des Planeten der Neugierde des menschlichen Blickes entzieht.

Und während einiger Augenblicke suchte ich verbissen hinter dieses Geheimnis zu kommen; doch alsbald stürzte sich die unwiderstehliche Gleichgültigkeit auf mich herab, und ich war mit ihr schwerer beladen als jene mit ihren niederdrückenden Chimären.

 

Comments are closed.

Top